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Le grand écrivain chinois Lu Xun (1881-1936) a considéré la traduction, dès le tout début de sa carrière littéraire, comme une partie intégrante de son activité et, à partir de 1909, comme l'outil le plus efficace pour rompre l'isolement culturel de la Chine et modifier le profil mental du citoyen chinois. A son avis, le contact avec la littérature étrangère entraînerait une modification des modes de pensée — et pas seulement des idées au sens de ce qui peut être appris ou inséré dans n'importe quel contexte —, modification qu'il jugeait indispensable au renouveau intellectuel et social de son pays.La capacité particulière de la traduction à atteindre les objectifs sus-indiqués est due au fait qu'il s'agit d'une opération linguistique qui influe, par conséquent, sur l'articulation même de la pensée. La traduction était, à son avis, un instrument de réforme du langage et, partant, guiderait la pensée chinoise vers des chemins nouveaux et plus féconds.L'article traite de la théorie de la "traduction dure" (yìng yì) de Lu Xun — une espèce d'"équivalence formelle" avant la lettre — et affirme qu'elle constitue une stratégie particulièrement intelligible dans le contexte du mouvement du quatre mai, caractérisé par un manque de confiance fondamental à l'égard de la culture chinoise traditionnelle dont le langage est un élément central. Toute démarche pour rendre une traduction "plus chinoise" aurait pour effet d'affaiblir le sens du texte étranger. La "traduction dure" se justifie pour des raisons pragmatiques (l'une des catégories proposées par Mme Dan Shen dans son article de Babel 34,3 (1989 p. 131-140), en raison du besoin urgent de changements culturels et sociaux qu'elle vise à satisfaire. En outre, esthétiquement parlant, la "traduction dure" tend à faire entre le lecteur dans le discours de la littérature occidentale et en particulier dans celui du réalisme occidental, une expérience inconnue en Chine et à laquelle Lu Xun attachait une très grande importance.