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La production normative et politique multilingue des institutions fait parfois doublement figure de paradigme de la traduction : d’une part parce qu’elle est d’abord une traduction juridique, d’autre part parce qu’elle porte la complexité à son paroxysme. Le traducteur dans les institutions européennes est l’agent nécessaire d’un discours qui porte ses effets juridiques dans les vingt-quatre langues officielles. La réalité est que nombre de présupposés sur l’activité traduisante sont mis à mal dans ce contexte.
A la Commission, tout commence avec un document de travail, le plus souvent en langue anglaise, qui est dit « original » mais dont l’état final n’est garanti qu’au terme d’un parcours complexe. La volonté du législateur, équivalent à un « vouloir dire » de l’autorité publique européenne, est le fruit de compromis entre services et avec les parties concernées, rediscutés à plusieurs étapes clés entre les institutions. L’original monolingue n’aide guère à retrouver cette intention initiale : dans le processus interinstitutionnel, le multilinguisme nous rappelle que le centre est partout.
La traduction institutionnelle, processus au cœur de la rédaction législative, doit en outre trouver un destinataire : les concepts-clés, souvent des néologismes visant à créer une réalité juridique et politique nouvelle, sont reconstruits dans la langue cible mais l’équivalence est parfois hors d’atteinte, voire indésirable. Chaque langue a ses solutions pour accueillir cette réalité langagière nouvelle qui n’est parfois pas assimilable lexicalement et dont le statut reste, par nécessité, proche du droit d’asile.